André Kasper, peinturesHôtesse d’accueil, huile sur toile, 120 x 80 cm, 2018.
André s’exprime sur son travail de 2018, quelque temps avant son exposition à la Galerie HumuS, du 30 novembre au 18 février en un entretien avec Géraldine Veyrat, historienne de l’art à Genève
Le léger et le grave
Géraldine Veyrat : André, je constate que tu vas présenter beaucoup
de petits formats à cette exposition, c’est inhabituel : peux-tu nous dire
quelques mots sur ce choix ?
André Kasper : J’étais habitué au grand format, avec ses larges brosses, ses grands gestes, je voyais le petit format, de figure surtout, comme un coin de sujet, une esquisse. Je redoutais de devoir être précis, peindre des portraits, des corps avec un pinceau de trois cheveux…
En fait, il est très stimulant de mettre en place une scène en quelques coups de pinceau, sans ces heures d’enduit, d’aller-retour du chevalet au fond de l’atelier pour évaluer à distance convenable son travail sur le grand format. J’y retrouve une sorte de légèreté, due à l’économie de moyens, dans la touche et dans certains sujets. Et j’ai davantage stylisé les formes, pour éviter les trois cheveux. Je compte user de cette stylisation également dans les grands formats à venir. Et continuer à peindre des petits formats pour eux-mêmes.
G.V. : On connaissait de toi des paysages sombres marqués par une ambiance énigmatique et des vues de salles d’attente, peuplées d’êtres en suspens, renfermés ou déstabilisés… Tes oeuvres, jusqu’à présent, étaient empreintes d’une certaine gravité. Or, avec les nus que tu présentes ici, la légèreté et l’humour font soudain irruption : ne crains-tu pas la superficialité ?
A.K. : Non, mais il y a là un jeu exigeant. Sans doute ma palette s’est éclaircie ces dernières années et le clair-obscur n’est plus le seul recours pour taire les contours inutiles au récit, mais je m’efforce toujours de faire cohabiter le léger et le grave, d’aborder les thèmes universels – qui sont à la base de l’activité artistique – sans discours, mais dans l’enveloppe du quotidien. Et le petit format suppose une intimité qui me permet de traiter utilement des sujets qui, en grand format, apparaîtraient comme noyés dans une débauche de moyens.
G.V. : Tu as quitté un atelier étroit en vieille-ville pour un autre beaucoup plus grand, à la campagne. Même si, dans les deux cas – les oeuvres présentées à la Galerie HumuS le prouvent – la magie créatrice opère, n’éprouves-tu pas une forme de contradiction à travailler des petits formats dans un grand espace ?
A.K. : Oui, c’est vrai que ma recherche m’a conduit au petit format au moment où j’ai enfin un atelier spacieux ! Mais j’y ai aussi peint quelques grands formats et dans tous les cas, de l’espace et du recul, c’est formidable ! J’entreprends des toiles en tout genre sans craindre de ne pas leur trouver une place pour sécher, un clou pour les observer à bonne distance.
Et dans ce nouvel atelier, je suis en contact direct avec la nature. Une vue très vaste, des animaux, du bocage, des prés et des vergers… J’apprécie cet échange entre l’atelier et cette campagne, qui m’offre sa beauté concrète, atmosphérique, changeante, dans ses effets de lumière, ses rythmes, ses heures. Tout cela alimente ma peinture.
G.V. : On sent qu’à travers la contrainte du petit format tu t’es davantage familiarisé avec la mise en scène de figures. Du côté des portraits, on sent aussi plus de plaisir et de rapidité dans l’exécution… Parlons un peu de ton réalisme…
A.K. : J’utilise le réalisme parce que c’est le langage compris de tous, mais je ne cède à des gestes appliqués que là où le sujet l’exige. Avec le temps, je vais plus directement à l’essentiel, qui peut être un détail dans un coin ou un reflet exact dans une pupille. Ma peinture reste une peinture de synthèse, un mélange de choses vues et de souvenirs, de visages qui s’invitent dans mes portraits, de proportion et d’échelle discrètement affectives, derrière la logique.